Mes souvenirs de la Guerre 1914 - 1918 - 2/4
Appelé avec ma classe (1915) le 20 décembre 1914, au 71éme régiment d'infanterie à Saint-Brieuc, je fus dirigé - avec les autres recrues - à la caserne des Ursulines aujourd'hui démolie. Vieux bâtiments, ou en surnombre, nous fûmes logés à même le sol, sur de la paille.
La nourriture infecte, soupe ou rata, était servie dans des récipients de fer sur lesquels les Bretons se précipitaient avec leur cuiller pour y manger comme des chiens. Avec un ou deux autres Parisiens, j'y mis bon ordre pour distribuer à chacun sa pâtée. Nous restâmes ainsi 15 jours ou 3 semaines avec nos vêtements de civils (il n'y avait pas assez de tenues militaires) sur lesquels nous endossions un bourgeron (de grosse toile) pour aller à l'exercice. Je crois que Le fusil qui nous avait été remis à cet effet; n'était même pas un Lebel, mais un vieux fusil gras (de 1886 ?).
Pendant tout le temps, ou nous avions conservé nos effets civils, nous fûmes consignés à la caserne, sans pouvoir sortir en ville.
Enfin, un jour. on nous plaça dans La cour de la caserne, en face d'autres de qui chacun reçut une petite veste bleu foncé et un pantalon rouge, sans considération de taille !! Ma veste était trop courte et mon pantalon élimé, mais ainsi, nous eûmes La possibilité de sortir après la soupe de 17 heures.
L'hygiène était inexistante. On devait faire la queue aux lavabos - il y faisait bien froid, c'était l'hiver - pour une toilette sommaire à l'eau glacée On faisait aussi la queue aux WC qui étaient tellement sales qu'on ne savait où mettre les pieds! Et quelle odeur y régnait, infecte!
Après ce séjour du début dans la pièce humide et sombre, où personne n'avait séjourné avant nous, nous fûmes transférés dans une chambrée d'étage, mais toujours sur de la paille pour dormir. Les lits (de planches - réglementaires) avaient été transférés dans les hôpitaux temporaires. Le matin, on sonnait le réveil à 5 heures. Mais dés avant, on étaient réveillés par le bruit que faisaient les Bretons qui galopaient avec leurs sabots pour aller aux lavabos et toilettes. Car nous avions tous des sabots de bois, où je me tordais les pieds !
Nous allions à l'exercice et apprenions, à faire du tirailleur à plat ventre sous la pluie ou le crachin breton. Nous faisions de nombreuses marches qu'un adjudant rempilé (rengagé) - il s'appelait Le Dorian - scandait des chansons grivoises que la. troupe accompagnait.
Le printemps de 1915 vint enfin. La plupart des recrues de la classe rejoignit le front. Beaucoup y laissèrent leur vie, près d'Arras. J'eus la chance d' être nommé caporal et désigné pour l'instruction de la classe 1916 appelée à la fin d'avril.
La vie fut meilleure. I1 y avait eu beaucoup de doléances quant aux mauvaises conditions que connut la classe 1915. Les nouvelles recrues couchaient sur des lits (planches contre sommier et paillasse) et j'eus le mien ! La nourriture et l'hygiène furent améliorées.
L'instruction de la classe 16 me permit des rester à Saint-Brieuc dans deux autres casernes (Charner et Guébrient) moins vétustes que les Ursulines, jusqu'à fin août. Des gens que j'avais connus a Paris m'avaient signalé et recommandé à des amis qui m'invitaient de temps à autre à déjeuner ; les ressources - peu importantes hélas! - me permettaient aussi de partager avec des camarades de bons repas au restaurant (Prix 1F ou 1,25F, beurre et cidre à discrétion !).
Le 24 juin, j' avais reçu une "collection de guerre" c'est a dire une tenue toute neuve bleu horizon, avec ceinturon et cartouchières qui reluisaient.
Et le 4 septembre , je fus embarqué à la gare parmi un nombreux détachement de renfort pour le front. Après un parcours interminable (2 jours et 2 nuits) nous arrivâmes à la petite gare de Neuville-au-Pont (Marne). Le 7, nous joignimes un bataillon. dit "de marche" à la. forêt des Hauts Batis. Nous campions sous la tente, nous n'allions pas encore en ligne, nous nous "acclimations" en faisant des travaux. Nous avons ainsi creusé des "parallèles de départ" pour l'attaque de Champagne (du 25 septembre). Nous fîmes ainsi l'expérience du bombardement. Quand je dis que nous avons creusé, pour ma part je n'ai fait qu'effleurer la terre, heureusement de braves types, paysans plus habitués que moi à manier la pelle et la pioche m'ont obligeamment relayé!
Souvenirs, page 2/4