Verdun, 1916 - Récit - 3/5
Le 15, un homme passa en courant devant ma sape en disant "Thomas est tué". Thomas, c'était mon ami, avec qui j'avais été en permission. Il était parait-il assis en haut de sa sape et un obus avait éclaté sur la paroi juste en face. Il avait été écrabouillé sur le coup. Quelques moments après, j'ai vu passer ses restes portés dans une toile de tente tendue sur un bâton que deux "poilus" portaient sur leurs épaules. Il ne tenait plus beaucoup de place, le pauvre Thomas. On me remit ses affaires et papiers personnels restés dans son sac, que j'envoyai plus tard à ses malheureux grands-parents. Je ne gardai comme souvenir que sa carte d'état-major du secteur. Je l'ai toujours. Un autre ami, sergent nommé Leledier, fut blessé le 17 mais légèrement. Il revint plus tard avec le grade d'aspirant, puis fut nommé sous-lieutenant. Je n'ai plus eu de ses nouvelles, mais je crois que, comme moi, il s'en est sorti.
Chaque nuit, on allait toujours sous les obus chercher du matériel déposé (par le génie ?) à Chattancourt qui n'était que ruines. Les hommes portaient des rondins (bois) et des rouleaux de fil de fer barbelé, se baissant jusqu'à terre quand les rafales étaient proches. Heureusement pour moi, les caporaux servaient de serre-files, ils ne portaient rien, bien qu'aidant quelquefois un autre "poilu".
Après un court repos (à Jouy en Argonne) nous remontâmes encore une fois dans ce maudit secteur le 14 juillet, sous un violent orage. Mais c'était un peu l'arrière, en 3è ligne. Nous étions mieux, assez bien abrités, pas loin des batteries de 75. Bien qu'ils fussent exposés aussi, combien nous envions le sort des tirailleurs. Ils pouvaient se lever, s'allonger, ils ne vivaient pas comme nous, les fantassins, dans la grande misère. Tous ceux qui étaient tant soit peu à l'arrière savaient que l'infanterie, c'était le bagne qu'il faut avoir connu pour se l'imaginer. Nous fûmes relevés le 20 juillet dans la nuit et, après une halte d'un jour à Ippécourt (Meuse), nous fûmes transportés à 80 km de là, dans la Haute-Marne, dans des camions sans pneu (des bandages) sur des routes défoncées, dans la poussière, mais cela valait mieux que d'aller à pied. Le village où nous cantonâmes s'appelait Flornoy.
Nous goutâmes donc un repos appréciable, mais le 6 août, c'était un dimanche, on avait "quartier libre" et avec des amis, j'étais allé à Wassy dont nous n'étions pas éloignés. Quand subitement des émissaires se répandirent dans la ville pour donner l'alerte et faire rentrer les promeneurs en vitesse au cantonnement de Flornoy.
Le bruit se répandit vite que nous devions aller à Thiaumont, alors le théâtre de très violents combats, l'ouvrage changeant continuellement de mains. Cette destination n'avait rien de réjouissant. On partit le 7 au matin roulant jusqu'à la fin de l'après-midi. Il faisait très chaud, les voitures soulevaient des nuages de poussière. La route c'était la "Voie Sacrée" qui par Bar-le-Duc assurait le ravitaillement de la bataille en hommes et munitions. Nous croisions en sens contraire ceux qui "descendaient" havres, les traits tirés, et qui bien que n'y croyant pas, nous souhaitaient bonne chance !
Le débarquement se fit dans une grande prairie à Nixéville, 10 km de Verdun. Les faisceaux ne furent pas longtemps formés. Sans traverses la ville, l'on monta à la caserne Jardin Fontaine. Chemin faisant, on rencontrait pas mal de gendarmes qu'on appelait des "Taubes", du nom des premiers avions allemands. On n'aimait guère ces gens là qui dressaient leur barrage à l'arrière pour que nul ne puisse s'échapper du guêpier. Bien sûr il en fallait. Mais en 1940, hélas, ils ont été les premiers à f... le camp.
A la caserne jardin Fontaine, nous déposâmes les sacs. Nous n'y prélevâmes que les vivres de réserve. En compensation on reçut une deuxième musette que l'on remplit de grenades, ainsi que 200 cartouches supplémentaires ce qui nous en faisait 400. Puis un deuxième bidon de 2 litres de vin et 2 litres d'eau, et une bonne ration de gnole que je mis dans un petit bidon de fer. Enfin, on partagea les outils (des pelles-bêches) et de nombreuses fusées. Avec le fusil, le masque à gaz, cela faisait un bon chargement.
Ces préparatifs prirent du temps et l'on partit au petit matin du 8. Nous traversâmes Verdun et c'était le boyau. Plus on se rapprochait des lignes, plus les obus tombaient et plus c'était des gros. L'un d'eux n'atterrit pas loin et projeta une grosse pierre sur mon casque. Des cadavres jalonnaient le boyau, j'en ai pressé un tombé à genou de se relever ! Nous arrivâmes ainsi à la côte de Froideterre où les officiers reçurent leurs consignes (horaires et objectifs). Nous nous trouvions sur la crête du Ravin des Vignes, la compagnie se déploya sur le flanc du ravin en bas duquel était l'abri des 4 cheminées. Devant nous sur la droite, c'était le P.C. 119 mais nous ne le voyons pas. Plus loin c'était le fameux ouvrage de Thiaumont. Notre compagnie était à la disposition du colonel commandant le 81è d'infanterie dont un bataillon défendait l'ouvrage.
Dans un livre excellent et très documenté intitulé "Verdun 1916", Henry Bordeaux a réservé un chapitre spécial à la journée du 8 août à Thiaumont (page 208 et suivantes). Selon sa relation, à 5 heures du matin, après un tir de barrage assez court mais intense, l'ennemi avait déclenché une puissante attaque sur l'ouvrage qu'il avait perdu encore une fois le 3. Les occupants du 81è se firent tuer sur place. Le commandant du bataillon redescendit avec seulement 30 hommes !
Pour nous, massés derrière les officiers, nous attendions le signal. Je voyais tout en haut du talus le capitaine commandant notre compagnie les yeux fixés sur son bracelet montre.
A 8 heures, il leva le bras et cria "en avant" ! Et la compagnie déployée s'élança sur le terrain qui n'était que des trous d'obus. Il n'y avait pas un endroit où l'on pouvait mettre le pied à plat. Pas la moindre herbe bien entendu, c'était un vrai paysage lunaire.
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