Verdun, 1916 - Récit - 2/5
Les sept jours passèrent bien vite, et le 28 nous rejoignons le régiment toujours au repos à Sénart. Nous n'y moisîmes pas, car le 30 mai nous partîmes à 4 heures du matin pour arriver à la fin de L'après-midi à Blercourt, face à Cumiéres et au Mort-Homme, secteur auquel nous étions destinés. Depuis Le 31 mars, de violents combats se livraient pour la possession de son sommet. Il n'y avait pas de jour où le Mort-Homme n'était cité au communiqué. Le 29 mai, les Allemands avaient à l'attaque une nouvelle division et c'était les régiments qui y avaient fait face que nous venions relever, le 154ème et le 155ème régiments de 1'Est, régiments d'élite. Ils avaient été très éprouvés. Je vois encore les faces blêmes et hirsutes de ces hommes restant frappés d'épouvante, fatigués, malgré leur jeune âge, leur capote maculée de terre. Ce contact n'était guère encourageant, nous n'étions pas très gais d'aller les remplacer (parés d'autres bien sûr).
Nous nous rapprochâmes du Mort-Homme le 31 en cantonnant dans le bois Le Bouchet, sud des Bois Bourrus. Les 2ème et 3ème bataillons allèrent tout de suite en lère ligne entre le sommet du Mort-Homme et 1e village de Chattancourt. Le 1er bataillon, le mien, resta en soutien au bois Le Bouçhet. Mais la position de soutien ne comportait pas le repos, l'inaction. Chaque nuit, et je revois mon petit carnet, les 1er, 2, 3, 4 et 5 juin nous montâmes (et ce n'est pas une promenade, dans les boyaux plus ou moins défoncés, les bombardements ne cessant jamais) pour refaire des lères lignes, lignes qui avaient été nivelées au cours des précédents combats. Environ 6 kilomètres de boyaux séparaient le bois Le Bouchet des premières Lignes, serpentant à travers les Bois Bourrus. Ironie du nom, tous les arbres étaient déchiquetés. les troncs en étaient clairsemés. J'avais déjà vu quelque chose comme cela dans la forêt d'Argonne. Mais là, c'était bien pire !
Les obus asphyxiants avaient laissé dans l'air une odeur énervante, ils avaient été lancés sur les batteries d'artillerie qui pullulaient dans le bois. Ca et là des cadavres de chevaux non enterrés dégageaient leur pourriture. Le boyau était interrompu de place en place. Alors on courait à travers les trous d'obus en faisant attention de ne pas se perdre en quittant la file, car il faisait nuit.
On se jetait à plat quand on entendait un sifflement d'un obus qui allait tomber tout près. Un soir, le contact fut perdu avec la tête de la compagnie. Je crus prendre le bon boyau, mais je heurtais un corps, l'odeur était infecte. Puis j'en vis 2, 3 accroupis, allongés, d'autres encore. Ce boyau était plein de cadavres. Je fis passer "demi-tour" et nous retrouvâmes enfin la compagnie qui nous avait attendus. Mais entre-temps, deux gros obus avaient éclaté à quelques mètres, me recouvrant de terre et de pierres et m'environnant de fumée. J'ai bien cru cette fois là ma dernière heure arrivée, je l'avais déjà cru en Argonne quand nous étions arrosés par les terribles "torpilles". Je me rappelle particulièrement qu'un de ces soirs là, le capitaine étant en tête de la compagnie précédé d'un agent de liaison, le boyau s'arrêta, et un vague sentier jalonné de cadavres indiqua la direction où il fallait refaire la ligne, le recreuser. La compagnie fut déployée en tirailleurs pour que les hommes munis de pelles et de pioches se mettent à l'oeuvre. Les caporaux furent disposés en avant en sentinelles, je me calais ainsi dans un trous d'obus. Pour moi, je contemplais un beau spectacle : les obus français passaient au dessus de nos têtes, les canons de 75 pétaradaient derrière nous et je voyais leurs éclatements dans les lignes boches. Sans cesse, les fusées montaient dans le ciel pour éclairer les terrains et alors les hommes se jetaient à plat ventre.
Les Allemands ont eu toutefois la gentillesse de ne pas nous attaquer, aussi, j'ai assisté pendant ces heures à un spectacle inouï, notamment quand sur la gauche, en contrebas, se déclencha subitement un violent tir de barrage, les fusées éclairantes jaillirent comme des bouquets, blanches pour voir, rouges et vertes pour régler les tirs d'artillerie, les uns répondant aux autres. Puis aux éclatements d'obus se mêlèrent les tirs des fusils et des mitrailleuses. C'était un vacarme infernal qui dura environ une demie heure. Puis tout se calma dans le secteur, le feu d'artifice se réduisant aux envois habituels de fusées éclairantes. Il y avait sans doute un "coup de main" comme celui du lendemain où par un heureux hasard, je n'ai pas été mêlé.
Le matin du 6 juin en effet, comme les hommes avaient travaillé toute la nuit, on nous annonça qu'on ne redescendrait pas mais que la compagnie était désignée pour faire un "coup de main" en face, en fin d'après-midi. Mais il fut réalisé que nous n'avions pas ce qu'il fallait, qu'il était nécessaire d'avoir des munitions supplémentaires, des grenades, etc. Nous revînmes donc au bois Le Bouchet (3è ligne) pour "faire le plein". Nous apprîmes que le coup de main avait été ordonné par le général commandant la division, un nommé Trouchaud, qui fut par la suite gouverneur de Paris. Ce général voulait qu'on aille lui chercher quelques prisonniers, et se souciait fort peu des pertes que cela allait nous occasionner.
Le soir donc, après avoir fait un somme et écrit quelques lettres, nous repartîmes avec nos munitions ; mais à proximité des lignes, nous fûmes stoppés à l'entrée d'un ravin (il y en avait beaucoup autour de Verdun) par un très violent tir de barrage. C'est qu'une autre compagnie avait entre-temps eu la charge de nous remplacer et qu'elle était en train de faire le coup de main. Quel soulagement pour nous. Mais d'après l'historique du régiment, si le général Trouchaud a eu ses quelques prisonniers, on lit que les deux sous-lieutenants qui faisaient l'attaque furent l'un tué, l'autre disparu (tué aussi mais on n'a pas retrouvé son corps) et dans la liste des tués figurant à la fin de cet historique, qu'un sergent et 10 hommes le furent aussi. Et sans doute, pas mal de blessés. Il pouvait être content ce général !
Quand le tir de barrage cessa, nous continuâmes notre chemin et nous prîmes je crois la place de ce qui restait des attaquants. Alors pendant 2 jours et 3 nuits, nous subîmes un bombardement terrible. Ce n'était pas le premier pour nous, bien sûr, mais souvent on était abrité dans des sapes qui nous protégeaient, à moins qu'elles ne s'écroulent sous un obus de gros calibre et nous ensevelissent, ce qui fut souvent le cas. Mais là nous étions en plein air, dans une tranchée qui n'avait que 70 ou 80 cm de largeur. Il nous était interdit le jour de nous mettre debout, la tranchée étant prise en enfilade par les Allemands en position sur la côte du Talou.
Nous devions donc rester accroupis plutôt qu'allongés car nous manquions de place. Le bombardement fut terrifiant, sans aucun arrêt. Pour me préserver la tête, j'avais creusé le flanc de la tranchée.
Quand dans la nuit du 9 nous fûmes relevés, je ne pus qu'à grand peine me mettre debout et marcher, tant j'avais les membres endoloris. Nous n'avions pu évidemment pendant ces jours manger que les conserves et boire le vin que nous avions, tout ravitaillement de l'extérieur étant impossible. Pour nous remettre, nous fîmes une marche de 35 km avec toujours tout le fourniment sur le dos, pour gagner le repos. Le 14 juin au soir, nous remontâmes en ligne, sur le flanc du Mort-Homme, entre le sommet tenu par les Allemands et le village de Chattancourt. Nous étions dans des sapes, soumis à un bombardement d'obus de gros calibre, la terre tremblait, les bougies qui nous éclairaient - bien faiblement - étaient éteintes souvent par le souffle. On craignait l'effondrement et l'ensevelissement !
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